La célébration d’un but n’a pas été créée en même temps que l’invention de ce sport par nos chers amis anglais. Mais avec une pression de l’enjeu qui n’a fait que croître conjuguée aux impératifs de performance, aujourd’hui, poussés à leur paroxysme, célébrer son but est aujourd’hui une norme, mais cela n’a pas toujours été le cas. Focus sur cinq de celles-ci.

1982 : Tardelli, le pionnier

La Coupe du Monde 1982 disputée en Espagne, restera un classique : des surprises (victoire de l’Algérie face à la glorieuse RFA des Breitner et Rummennige), des arrangements entre amis (la courte victoire entre les sélections amies de la RFA et de l’Autriche leur permettant de se qualifier au détriment des algériens) ou encore le fameux "match de Séville" RFA-France, encore à l’heure actuelle considéré comme un classique par les puristes. Et la victoire surprise d’une Italie avec un capitaine, Dino Zoff, âgé de 40 ans. Pourtant, la génération des Rossi, Gentile, Baresi n’était pas jugée comme un outsider crédible à la victoire finale.

Malgré des débuts poussifs en matchs de poule avec trois matchs nuls et ùalgré l’absence de victoires, les Italiens se qualifieront pour le second tour en finissant 2ème de leur poule, au profit des… deux buts inscrits sur les trois matchs, contre un seul pour le Cameroun qui finira avec le même nombre de points et trois scores de parité également.

L’Italie parviendra au prix d’un "second tour" fantastique durant lequel elle terminera en tête en battant le Brésil de Socrates (3-2) et l’Argentine, championne du monde sortante (2-1) avec l’ouverture du score, signée Tardelli dont nous allons longuement parler. Après une demi-finale toute en maîtrise face en Pologne, l’Italie se hisse à la surprise générale en finale.

Finale au Bernabeu de Madrid. Malgré un pénalty raté de Cabrini, Rossi ouvre la marque en seconde période. A la 69ème minute, d’un coup de patte fantastique, Tardelli libère toute la botte et célèbre son but d’une manière inédite, lui qui a été critiqué tout au long de la compétition par les journalistes. Il se met à courir, les poings serrés et écartes, en libérant un cri inaudible pour nous, spectateurs, mais qui laisse transparaitre une telle émotion qui se substitue elle-même à tout son possible. Ce cri mythique, sera appelé le "Urlo" de Tardelli. Cette image presque finale de la compétition, restera pour les supporters du monde entier celle qui aura le plus marqué de son empreinte les esprits. Tant par son caractère inattendu que par l’imagination du buteur pourtant milieu défensif. C’est comme le mélange d’éléments sportifs, nationaux et personnels ayant convergés simultanément pour nous offrir cette manière de fêter le but, et aussi la première. Tardelli restera le symbole de cette Italie triomphante et sa célébration offrit une première révolution dans la célébration des buts dans le microcosme footballistique. Le cri est devenu aujourd’hui naturel et exhiber sa furia après un exploit sportif est normal, grâce à Tardelli. Les spécialistes ont revu dans la célébration de Fabio Grosso, buteur en prolongation face à l’Allemagne en demi-finale finale de la CDM 2006 la copie conforme son prédécesseur. Toute la dimension symbolique d’une Italie qui retrouvera cette année le trône mondial 24 ans après Tardelli Rossi et ses compagnons de ballon.

1986 : Hugo Sanchez, de la Rockstar du football au modeste citoyen mexicain

Hugo Sanchez est surement le meilleur joueur de l’histoire que le Mexique ait produit. Et la vox populi ne vous dira pas le contraire. Jouant pour les deux clubs de Madrid (l’Atletico d’abord, puis le Real), cinq fois champion d’affilée avec la Maison blanche et quatre fois d’affilée pichichi de la Liga Primera. Il finira sa carrière au Mexique et restera l’ auteur de près de 500 buts en un peu plus de 800 matchs disputés. Une légende donc. Cependant en 1986, la légende n’en était qu’aux fondations. Fondations en construction pour le joueur, mais en destruction pour la ville de Mexico, capitale du pays, terrassée par un tremblement de terre en 1985, soit un an avant la CDM. 10000 morts et environ 30 000 blessés. Une véritable catastrophe naturelle à un moment compliqué surtout lorsque l’on sait que Mexico était pourvoyeuse de deux enceintes pour la compétition : l’Estadio Universitario mais surtout le Stade Azteca et ses 115 000 places. Seuls les immeubles et les routes seront dévastés, même si c’est déjà beaucoup trop pour une ville qui se voulait être l’épicentre de la planète football et non d’un séisme.

Le match inaugural du pays hôte a finalement pu se dérouler au Stade Azteque face à la Belgique, à Mexico. Beau clin d’œil du destin. Plus de 100 000 furent prêtes à vociférer au rythme des exploits de Sanchez et des siens. Le Mexique mène 1-0 très rapidement puis peu avant la pause, le rêve de plus de 100 millions de mexicains : voire la gloire nationale marquer le but du break. Chose faite à la 39e minute sur une tête à bout portant du goleador de Bernabeu. Hugo Sanchez nous gratifiera d’une célébration encore une fois aussi magique qu’inattendue : le saut périlleux breveté par le natif de… Mexico. Sophistiqué par la suite par d’autres joueurs, notamment Djibril Cissé, l’un des maitres esthétiques en la matière. Mais le précurseur du saut périlleux restera bel et bien Hugo Sanchez. Le scénario rêvé s’est accompli et cette manière de fêter la réalisation restera comme un symbole. Le peuple aztèque gardera en mémoire cette facétie qui constitua le point de départ de la reconstruction d’un Mexique qui pansait ses plaies et dont le football faisait office de parenthèse enchantée.

Le symbole est total : victoire, but de l’icône sanctifiée et début d’un parcours fantastique qui mènera l’équipe dirigée par Bora Milutinovic en quarts de finale et donnera une bouffée d’oxygène à tout un peuple.

1990 : Milla, le papy qui fait de la résistance

Roger Milla avait 38 ans lorsque se déroula l’édition 1990 du Mondial italien. Il n’était pas programmé pour disputer cette Coupe du Monde, il jouait à cette époque à la Réunion, à la JS Saint Pierroise avec lequel il a réalisé le double coupe-championnat, mais cet exil sonnait comme un retrait de l’ex-gloire des Lions Indomptables et ex-double vainqueur de la CAN (1984 et 1988). Il sera appelé par le président Camerounais Paul Biya en personne. Le Cameroun, pour son premier match de poule, s’offre le scalp du champion du monde sortant, l’Albiceleste de Diego Maradona.

La montée en puissance du vétéran et de ses troupes ne s’arrête pas là : deuxième match de poules, face à la Roumanie, Milla marque le doublé de la victoire et devient le plus vieux buteur de l’histoire d’une phase finale de CDM. Le Cameroun se qualifie aisément pour le deuxième tour de la phase finale aureôlé de la première place du groupe B

Lors du huitième de finale face à la Colombie : à l’issue de 90 minutes durant lesquelles les deux nations ont mis le cadenas devant leurs buts respectifs (0-0). Milla entre pour les 20 dernières minutes du temps réglementaire (71ème), lui le joker de luxe avoisinant la quarantaine. Il délivrera les siens en trompant René Higuita (l’inventeur du coup du scorpion sur sa ligne de but) à la 106ème minute, nous gratifiant d’une célébration magique. Il restera le premier à s’aider du poteau de corner pour célébrer un but : comme l’ont fait Thierry Henry ou Tim Cahill dans un tout autre registre. Cette danse durant laquelle le natif de Yaoundé fait mouvoir son bassin et pose sa main sur le bas ventre, comme pour montrer la danse festive et sensuelle africaine. Cet instant de grâce restera le point de départ de la signature africaine des célébrations. Beaucoup de joueurs originaires du continent et évoluant en Europe ponctuent leur moment de joie par cette dose festive marquée par la danse, qui n’existait pas sur un terrain de foot avant la spontanéité du geste de Milla. Dix minutes plus tard, suite à une erreur d’Higuita, « Le Vieux Lion » réalise le doublé qui assure la victoire et la qualification en huitièmes du Cameroun. deuxième but et deuxi-me célébration, identique et cette fois–ci de l’autre côté, vers le poteau de corner droit.

Cette célébration est pleinement imprégnée de la culture africaine, puisqu’il s’agit d’une danse nationale, le Makossa qui consiste à "remuer les hanches" et à "effeuiller le corps" comme cette dénomination le signifie.

Sa célébration a fait le tour du monde, et plus précisément du continent africain où professionnels ou jeunes amateurs, tapant le ballon dans le quartier, tentent d’imiter l’inimitable célébration du facétieux pré retraité. Il restera le premier joueur africain à disputer trois phases finales de coupe du monde.

1994 : Bebeto, La berceuse brésilienne

Sortant d’une coupe du monde 1990 en demi-teinte, le Brésil aborde le mondial américain dans le costume de favori. Avec la doublette d’attaque Romario-Bebeto. Le premier était au sommet de sa carrière et affolait les compteurs au FC Barcelone. Le second affola les aficiandos du Riazor de La Corogne, avec lequel il manqua cette saison-là, le premier titre de champion d’Espagne à la différence de buts au profit du FC Barcelone de…Romario. Mazinho était très clair : « Nous avions huit joueurs qui etaient physiquement forts…et deux qui etaient techniquement extraordinaires, bebeto et romario » Mais c’est son coéquipier qui se distinguera lors de ce Mondial et pas forcément sur le critère uniquement sportif. Bebeto le dit lui-même : il a consenti à beaucoup de sacrifices au détriment de sa vie personnelle et privée pour participer à la coupe du monde.

Il déclara: Je savais que le Brésil n’avait pas remporté de coupe du monde depuis 24 ans. J’étais très dur avec moi-même. J’ai renoncé à beaucoup de choses pour être là. Ma femme était enceinte à l’époque

«J’etais au telephone, j’ai entendu mateus pleurer et le docteur lui a passé le telephone pour que je puisse l’entendre pleurer ». En hommage à son fils Mateus, né le 7 Juillet 1994 soit trois jours après le huitième de finale durant lequel Bebeto marqua le but victorieux contre le pays hôte, les USA (1-0), le joueur galicien réfléchissait à la manière dont il pourrait rendre hommage à son fils si il parvenait à convertir une balle de but. Mateus était né à quelques kilomètres du théâtre du Mondial, de l’autre côté du continent américain. Le joueur eut cette phrase formidable pour décrire l’état d’esprit duquel il était habité la nuit précédant le match : « la seule chose que j’ai demandé a Dieu quand je suis allé me coucher la veille du match…c’était qu’il me donne l’occasion de marquer un but pour mon fils »

Durant le quarts contre les Pays-Bas disputé le 9 Juillet 1994 à Dallas, l’occasion était trop belle pour l’attaquant. Il ne manquera pas l’occasion de joindre l’idée aux actes, en doublant la mise à la 63e minute, après avoir offert l’ouverture du score à Romario dix minutes auparavant. Et là le geste du Mondial se produisit, Bebeto alla vers le poteau de corner en mimant les bras joints le geste de la berceuse en balançant les mains, comme s’il bordait son enfant Mateus entre ses bras. Bebeto sera rejoint de ses coéquipiers Mazinho et Romario qui feront le même geste que leur coéquipier pour souhaiter de la plus belle des manières et devant des millions de téléspectateurs l’arrivée du jeune bambin sur la planète Terre. Ce trio improvisé brésilien en harmonie dans la chorégraphie de cette célébration laissera une image impérissable de ce Brésil édition 1994, festif et solidaire, à défaut d’être le plus jouissif techniquement.

Reprise par de nombreux joueurs, la berceuse brésilienne a ouvert une nouvelle ère dans la célébration des buts dédiés aux enfants : pensons au pouce sucé de Francesco Totti.

Il a soulevé l’universalité de la naissance et de la paternité chez bon nombre de footballeurs, en pleine âge pour (20 et 35 ans)

Ironie du sort : Mateus, l’"enfant de la berceuse" déclara en 2010 : "si Dieu le veut, je serais peut-être aussi bon voire meilleur que mon père". Il joue aujourd’hui à la pointe de l’attaque de Flamengo, célèbre club de Rio, quintuple champion du Brésil et vainqueur de la Copa Libertadores (1981)

2006 : l’Equateur et Kaviedes pour la mémoire

Ce petit pays qui se qualifie à la surprise générale va devoir surmonter un drame tragique : le décès d’Otilino Tenorio, valeur montante du football, qui succombera à ses blessures lors d’un accident de voiture le 7 mai 2005, à seulement 25 ans juste après la qualification de son équipe. Auteur de 6 buts en seulement 13 sélections. Il aura juste le temps de remporter le titre équatorien avec le club d’El National de Quito, pour sa seule saison disputée en compagnie d’un autre attaquant vedette de la République Equatorienne, Chucho Benitez, lui aussi décédé tragiquement l’an passé.

Tenorio était non seulement connu pour ses performances sportives mais aussi pour ses célébrations qui lui ont valu le surnom de Spiderman en hommage à un neveu proche qui lui parlait souvent du Comic de Marvel. Il était devenu un véritable phénomène national grâce à ses festivités autour de chacun de ses buts empilés et chacune de ces réalisations faisaient office de véritable évènement les week-end de Ligue A équatorienne.

Le masque devient un véritable instrument de la panoplie du supporter équatorien mais ne dépassa pas les frontières du pays.

Mais lors de la coupe du monde 2006, durant laquelle les partenaires d’Antonio Valencia ont réalisé un premier tour de toute beauté, remportant 2 des 3 matchs en échouant seulement face à l’ogre et hôte allemand, Ivan Kaviedes va marquer l’histoire de la compétition. Auteur du 3e et dernier but de son équipe lors du match de poule face au Costa Rica (3-0), le numéro 10 va sortir un masque jaune de superman pour rendre hommage à son comparse qui le regarda du ciel.

JE ME SENTAIS TELLEMENT HEUREUX ET TRISTE A LA FOIS - Ivan Kaviedes aprés son troisième but face au Costa Rica lors du Mondial 2006

Honneur du pays sauf et hommage effectué de la plus belle des manières, les joueurs qui auront atteint les huitièmes de finale seront accueillis en véritable héros nationaux à Quito. Adversaire de l’équipe de France lors du deuxième match de poules du groupe E, les joueurs de Deschamps auront tout intérêt à se méfier des troupes de Reinaldo Rueda. Celles-ci seront une nouvelle fois habitées d’un esprit dépassant le cadre sportif, un esprit d’honneur, en la mémoire de leur attaquant star, Chucho Benitez décédé tragiquement l’été dernier. Triste mimétisme des évènements pour une équipe qui pourrait bien une nouvelle fois en surprendre plus d’un durant cette compétition et contrarier la Suisse et la France; annoncées comme favoris du groupe.

Nous aurions pu en ajouter d’autres, mais ces célébrations se distinguent par leur contexte d’apparition. Elles célèbrent un heureux évènement ou encore le retour en grâce de joueurs mis au placard. Mais encore elles peuvent faire référence à un moment tragique ébranlant les acteurs footballistiques ou encore les habitants de toute une ville et de toute une nation. Le football est aussi le symbole d’une dramaturgie où corps et esprit ne font qu’un. Ces cinq célébrations en sont les plus beaux exemples. Quand l’émotionnel supplante la technicité pure et dure, ce sport s’en retrouve magnifie et justifie son statut spécial privilégié de discipline la plus populaire du monde.

Nous parachèverons notre analyse sur les constats suivants :

- La célébration du but n’est donc finalement pas si vieille et a apporté une nouvelle temporalité au match de foot et une dimension de spectacle. Aujourd’hui nous savons systématiquement qu’une réalisation sera succédée d’une festivité individuelle ou collective. Aujourd’hui certaines formations redoublent d’efforts pour trouver la Même si fêter son but lors de l’évènement footballistique le plus regardé au monde semble plutôt relever de l’émotion naturelle que d’une volonté d’amuser la galerie.

- Aujourd’hui certains joueurs ne fêtent pas ou presque leurs buts. Nous pouvons penser à Benzema, ou encore à Balotelli qui nous a gratifiés de cette phrase : « t'as déjà vu un facteur sauter de joie quand il a livré le courrier?». Chacun a son avis sur la question. Mais nous pouvons penser qu’être joueur de football, avec toute l’exposition médiatique que cela génère, ne relève pas d’un métier « classique ». Les acteurs du ballon rond sont avant tout des vendeurs de rêve et l’onirisme est une valeur qui ne se quantifie pas en termes monétaire. Un footballeur est aujourd’hui plus que jamais une personnalité publique. Il peut avoir vocation à représenter son peuple et traduire au plus haut niveau les émotions que le simple facteur ou plombier peut ressentir devant son poste de télé lorsqu’il voit son joueur inscrire un but en coupe du monde. C’est ce qui fait la magie du football pour les amoureux de ce sport et son travers pour les plus récalcitrants, de voir 7 milliards d’individus s’extasier devant 22 millionnaires en short. Mais l’amour et la passion du jeu battent en brèche ces clivages économiques et donnent du rêve à des millions d’individus. Vibrer et rêver sont d’autant plus importants dans les temps qui courent .Si le football peut être pour certains vecteur de bien-être social, que le spectacle continue, et commence au Brésil d’ici un mois. Même si les manifestations actuelles tendent à montrer que les priorités sont peut-être ailleurs pour une certaine partie de la population auriverde.