En 1939, après la guerre civile espagnole, le Real Madrid était un club mort. Il n'y avait plus de joueurs pour former l'équipe, ni d'argent dans les caisses. Le patrimoine du Club avait été pillé et le Real Madrid ne disposait d'aucunes aides officielles. L'armée espagnole possédait à cette époque l'Atlético Aviación, aujourd'hui connu sous le nom de l'Atlético de Madrid. Elle se préoccupait donc peu du sort de l´autre club de la capitale. Alors que personne ne voyait d´autres horizons que l'abandon définitif du club, Santiago Bernabéu décide de reconstruire le club. Il part alors à la recherche de socios, sympathisants, anciens joueurs du Real, et grâce à de nombreux efforts, il réussit à réinscrire le Real Madrid dans la Liga espagnole. Sans stade et sans argent, le Real Madrid est de retour. Quelques années plus tard, en 1943, après une vague de violence, le gouvernement demande au Barcelona et au Real Madrid de virer leurs présidents respectifs.

Don Santiago est alors élu président du Real Madrid "provisoirement". Il occupera ce poste jusqu'à son décès en 1978. Figure du Real Madrid, Don Santiago est l'incarnation des valeurs du club. A chemins croisés entre l'actualité du moment et l'homme, une interview dans l'année de son décès nous permet de mieux cerner le Real Madrid.

"Se plaindre est ridicule. Dire que telle ou telle chose je l'ai mal faite ne me plaît pas, si je ne peux pas apporter de réponses".

"As-tu fait une fois quelque chose de mal Don Santiago? Une seule : être président du Real Madrid. Pourquoi?" Parce que dans ma famille ils disaient que tous mes frères allaient devenir des gens importants, et moi rien. Cela a fait de moi quelqu'un d´introverti toute ma vie. Je me suis marié à quarante-cinq ans, après la guerre et après avoir connu toutes les bordels de Madrid. Quand on m'a élu président j'ai cru que j'allais durer seulement un an ... et voilà que j'ai trente-quatre ans d´activité derrière moi. A cette époque, comme maintenant, les gens voulaient déjà que le stade s'écroule ou alors que le club s'enfonce. C´est donc face aux difficultés que j'ai dû continuer, et les difficultés ne se sont jamais arrêtées. Mais se plaindre est ridicule. Dire que telle ou telle chose je l'ai mal faite ne me plaît pas, si je ne peux pas apporter de réponses.

Don Santiago évoqua en réalité les difficultés du Real en championnat. Capable du meilleur comme du pire, le Real connait des résultats compromettants face à de faibles équipes… Une histoire que l'on connait trop bien….En effet, le Real a toujours eut à faire à des équipes défensives ; ces joueurs qui se replient durant 90 minutes pour palier leurs déficiences dans la construction du jeu. Complexe d'infériorité pour certains, lâcheté pour d´autres, les entraineurs et dirigeants du Real Madrid n'ont jamais approuvés ces méthodes. A l'époque, Don Santiago était bien plus catégorique.
Si nous continuons sur ce chemin, en Espagne le football finira mal. De plus, si le football existait seulement en Espagne, il serait déjà mort. Aujourd'hui c'est un crime de perdre un match. C´est pour cela que des mecs s'entassent en défendant leur cage et détériore le spectacle. Le Real est l´équipe du peuple

A contrario, ces équipes plus modestes se plaignent de la suprématie du Real Madrid, et l'associe au gouvernement actuel ou ancien. L'équipe de Franco, l'équipe du Roi, le Real a toujours eu à répondre de ses accusations. Don Bernabéu, ayant vécu la transition dictature république, apporte son point de vue sur la question.C'est une diffamation perverse. La preuve, je suis revenu vivre à côté de la mer et j´ai dit à ma femme que n'importe quel jour, sous prétexte d'aller pêcher, nous prendrons la barque et nous partirons au large. Si nous avions eu un appui officiel aujourd'hui nous aurions eu un grand stade. Ce que le gouvernement de Franco a fait c'est nous exploiter et il ne nous a jamais donné ni cinq centimes… Le stade comme il est maintenant a coûté soixante-huit millions de pesetas à cause des obligations. Tout cela, ça été une authentique avalanche populaire. J'ai, pour ma part, donné cinq mille pesetas pour le stade et vingt mille pesetas pour le complexe sportif.

En plus de cette association au gouvernement, on catalogue souvent le Real Madrid comme club de riche. Cette impression n'a pas diminué avec le temps, et encore moins depuis l'époque galactique de Florentino Perez, président actuel. Santiago nous plonge alors dans l'essence même du club de la capitale…On m'appelle dictateur et je ne le suis pas. Comment puis-je me défendre? Certains propagent que le Real Madrid est l'équipe des riches, quand en réalité, la base du Real Madrid appartient à ceux qui ont construit le stade avec leurs propres mains. Des quarante mille premiers socios, des aristocrates il y en aura vingt. Le Real Madrid est un club absolument populaire. Peut-être le plus populaire du monde. Ce sont les titres ceux qui lui ont donnés une autre dimension.Il ne faut pas confondre, Don Santiago, entre être populaire de renom et être populaire au sein du peuple.Le Real Madrid est populaire au sein du peuple. Je dirais même plus : c'est l'équipe du peuple.

Un club populaire, mais aussi détesté. Un récent sondage démontre que le Real est toujours tant admiré, mais il a don de répugner un grand nombre d´amoureux du ballon rond. En particulier sur ses terres…Les espagnols, qui aiment-ils? Je me souviens que Jacinto Benavente lorsqu'il entrait dans un café les gens ne disaient pas « le génie vient d'entrer, regarde c´est un Prix Nobel, mais ils disaient "celui qui vient d´entrer est un PD". Pourquoi je décide d'endurer tout ça? Parce que je pense que la situation est tellement difficile que quelqu'un doit y faire face. Je parle de la situation générale.

Santiago Bernabéu donne aussi son opinion sur l'âge des joueurs, un des maux du Real Madrid qui n'a jamais disparu... Ces stars qui ont brillés et qui ont ensuite étaient taxées de trop lents, trop âgés… On pourrait citer Raul, Butragueño, voir Sanchis dans la liste des héros déchus du Bernabéu …Il n'y a pas de joueurs vieux ou jeunes; il y a les bons et les mauvais. Ce qui arrive aux footballeurs c´est ce qui arrive aussi aux femmes importantes. On entend dire Fulanita est trop vielle. Et non, elle n'est pas vieille; c'est juste qu´on s’est fatigué de la regarder

Certains se demandent souvent ce que penserait Don Santiago du Real Madrid actuel... Interrogé sur les conseils qu'il porterait à ses successeurs, c'est avec un air pensif que le grand homme répondra Les "santiaguinas"(phrases de Santiago) sont un peu épuisés. Le pire dans le football, c´est de se répéter. Si je dis quelque chose aux joueurs, ça serait une idée survenue sur le moment. Quelque chose comme conseiller au Real Madrid de respecter tous les contrats qu'il fera, même si cela lui coute la vie. Un jour aussi, je dirais une atrocité, et je devrais donc m´en aller…

Et Don Santiago s´en est allé.. Son œuvre a été la plus spectaculaire jamais réalisée dans une entité sportive. Une vie entière (70 ans) dédiée corps et âmes au Real. Il fut le créateur de ce Real Madrid considéré aujourd'hui comme le meilleur club de l'Histoire. Tout un exemple d'orgueil et de fermeté. Santiago Bernabéu symbolise l'effort au service des plus nobles idéaux. Et chaque week-end, dans le stade qui porte son nom, les madrilènes défendent le blason qu'il a tant doré.

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Anne BinetCuadra
Fidèle au football identitaire, je crois en l'héritage continuel de ce sport. Je promeus l'égalité des chances et le football féminin à l'AS Hersoise, ainsi que le journalisme de qualité au sein de VAVEL France.