Afin de raconter l'histoire du Milan-San Remo 1995, il faut faire un bond dans le passé, encore plus lointain. Quelques mois plus tôt, en juillet 1994, Laurent Jalabert évolue au sein de l'excellente équipe Once, et est l'un des chefs de file de cette formation aux côtés de Johan Bruyneel ou encore Axel Zülle sur le Tour de France. Il faut dire que le natif de Mazamet a pris une dimension supérieure depuis les sept victoire qu'il a acquis sur le Tour d'Espagne quelques semaines auparavant, faisant totalement oublier ces premières années à cumuler les places d'honneur sans victoires. Le 3 juillet 1995, la Grande Boucle s'élance dans le Nord depuis Lille après un prologue, et Jalabert est l'un des hommes attendus pour régler les sprints. Malheureusement, il n'aura pas l'occasion de faire étalage de ses qualités bien longtemps.

Le terrible choc d'Armentières

L'étape, la plus longue de cette édition avec 234 km, se déroule sans véritable accroc. On se dirige alors vers le sprint massif tant attendu à Armentières. Dans le dernier kilomètre, les hommes forts sont lancés à vive allure. Avec le maillot de Novemail-Histor, Wilfried Nelissen se déporte sur la droite de la chaussée à la sortie du dernier virage. Au même endroit, un policier filme l'arrivée des coureurs sur le bord et est décollé des barrières de sécurité. Tête baissée, le Belge ne le voit.

Ce dernier le percute à toute vitesse, provoquant une chute terrible avec plusieurs autres coureurs. Nelissen ne reprendra pas la route à cause d'un traumatisme crânien. Parmi les autres coureurs, Laurent Jalabert chute également violemment et c'est avec le visage ensanglanté et une expression choquée qu'il quitte la route du Tour dans une ambulance, à quelques mètres de la ligne d'arrivée. Quelques jours plus tard, des images de lui apparaissent dans la presse. On le reconnaît difficilement à cause de son visage qui a enflé considérablement. L'homme est blessé dans sa chair, mais il n'est pas abattu.

Les Italiens battus

Après des semaines à se reconstruire, il retrouve la route au mois d'octobre, en toute fin de saison, à l'occasion du Paris-Tours. Pour la saison 1995, il a donc tout le temps de se préparer, et amorcer sa mue. Jalabert le sprinter fait doucement place à un nouveau Jalabert, beaucoup plus complet, capable de décrocher n'improrte quelle victoire. Dès le mois de mars, il impressionne tout le monde en remportant une étape et le classement général de Paris-Nice devant Bobrik et Zülle. On arrive alors au 18 mars 1995, et à la classique de Milan-San Remo.

En forme, Jalabert fait parti des hommes à suivre, et dans la difficulté du Poggio à quelques kilomètres de l'arrivée, il va le confirmer. Maurizio Fondriest, vainqueur de l'épreuve en 1993, attaque et seul le Français arrive à accrocher sa roue. Les deux hommes collaborent ensemble jusqu'au bout et résistent au retour d'un petit groupe comprenant trois Italiens : Zanini, Rebellin ou Bartoli. Le sprint se joue à deux et Jalabert fait parler ses qualités en passant la ligne devant cet autre Italien. Le Français remporte donc là sa première classique et prend au passage la tête du classement mondial. L'histoire est en marche.

Le début de la moisson de victoires

La suite, on la connaît avec des maillots distinctifs et des victoires d'étape sur tous les grands Tours, une victoire finale au Tour d'Espagne, quelques classiques, et la folie « Jaja » au bord des routes... Bref, des victoires, des victoires et encore des victoires. C'est à ce Milan-San Remo 1995, une semaine après sa victoire à Paris-Nice, que ce nouveau Laurent Jalabert a pris son envol.

Il est devenu une sorte de coureur ultime capable de gagner sur n’importe quel terrain de jeu, dans n'importe quelles conditions et face à n'importe qui. Un gagneur capable de jouer la victoire dès qu'il prend le départ d'une épreuve, peu importe la difficulté. Seul la Grande Boucle lui semblait inaccessible comme il le confia plusieurs fois. Pour faire simple, Jalabert est un homme qui a marqué de son empreinte le cyclisme mondial, et encore plus un cyclisme français dont il est avec Virenque l'un des derniers à ne pas avoir à rougir en voyant le palmarès des grands anciens.

Ce samedi, on espère pourquoi pas voir un coureur français prendre la relève et aller chercher cette course que « Jaja » est le dernier tricolore à avoir remporté, vingt-et-un ans plus tôt.