L'histoire du football est riche, et pour laisser ne serait-ce qu'une trace visible de son passage est un exploit. Seuls les très grands peuvent voir leur nom traverser aisément les générations et les âges. Et quand on est considéré unanimement comme l'un des trois plus grands aux côtés du roi Pelé et de Diego Maradona, le statut d'icône est presque trop léger. Dans le cas de Johan Cruyff, c'est ce qu'il représente depuis des décennies, et qu'il représentera celles qui suivront.

Ajax et football total

Né le 25 avril 1947 à Amsterdam, l'agréable capitale des Pays-Bas, Johan Cruyff habite juste en face du Stadion de Meer, stade de l'Ajax à l'époque, durant sa jeunesse. Il rejoint le club à 12 ans lorsque sa mère commence à travailler comme femme de ménage pour ce même club suite au décès du père de la famille. Rapidement, le club hollandais remarque que le gamin a de l'or dans les pieds et a seulement 16 ans, il signe son premier contrat pro. Pour ses débuts sous le célèbre maillot rouge et blanc, il plante un but à 17 ans face à Groningue. Le Hollandais volant prend son envol.

En 1965, un nouvel entraîneur prend place sur la banc de l'Ajax, Rinus Michels. Dans ses valises, cet ancien joueur du club arrive avec l'idée du football total. Un football résolument offensif avec des principes révolutionnaires qui reposent notamment sur l'équilibre. Ainsi, des attaquants peuvent se retrouver en défense, ou des défenseurs en attaque. Chaque joueur change de positionnement en fonction de ce qu'il se passe dans le jeu. Cela nécessite donc une condition physique intense mais aussi des joueurs dont la compréhension du jeu est élevée. Michels décide alors de s'appuyer sur de jeunes joueurs talentueux qui vont former l'ossature du grand Ajax et des Pays-Bas version 70s : Johan Neeskens, Ruud Krol, Piet Keizer et surtout Johan Cruyff.

Ce dernier est un joueur qui physiquement n'a rien d'impressionnant, mais derrière ce bonhomme frêle, il y a un coffre énorme que va travailler Rinus Michels pour faire de lui le maître de son équipe. Disposant d'un QI football exceptionnel, il faudrait également beaucoup de temps pour développer toutes ses autres qualités (vista, vitesse, technique, contrôle de balle, efficacité...). A cela, les cheveux longs et son franc-parler rajoutent une dimension sociale au personnage qui s'intègre parfaitement à une époque où les mœurs se libèrent à travers notamment la musique rock. Bref, c'est le joueur ultime, et derrière lui il entraîne toute une génération exceptionnelle dans son sillage pour porter l'Ajax vers les sommets.

Dès 1969, le club hollandais parvient en finale de la Coupe d'Europe des Clubs Champions, mais bute sur le Milan AC. L'année suivante, c'est le Feyenoord Rotterdam, ennemi juré de l'Ajax qui remporte l'épreuve. Malgré tout, les supporters oublieront vite cela puisque les trois années suivantes, c'est bien le club d'Amsterdam qui écrase l'Europe. Il remporte alors son premier Ballon d'Or en 1971 et décide de quitter les Pays-Bas pour rejoindre l'Espagne, et Barcelone, en 1973.

Catalan d'adoption

C'est sous le maillot catalan qu'il reçoit son deuxième Ballon d'Or à la fin de cette même année. Quand il débarque, le contexte est encore tendu en Espagne puisque Franco règne toujours en dictateur. Pour le FC Barcelone, cela est d’autant plus pénalisant puisque ce même Franco est un supporter du Real Madrid. Depuis 1960, les Catalans n'ont plus remporté le championnat alors que le géant madrilène règne en maître sur l'Espagne. L'arrivée du Hollandais redonne l'espoir à tout un peuple, surtout que Rinus Michels est là encore sur le banc, reformant ainsi le binôme de l'Ajax.

A la fin de la saison, le Barça met déjà fin à sa disette en remportant la Liga. Jusqu'à son départ en 1978, il en remportera un deuxième, mais aucune Coupe d'Europe ne va garnir encore plus sa collection de trophées. Malgré tout, il a déjà marqué fortement la Catalogne. Cela grâce à son football, mais aussi par sa grande gueule et ses gestes contre le système franquiste. C'est le cas notamment pour le prénom qu'il a donné à son fils, Jordi, alors que les prénoms catalans étaient interdits par le gouvernement franquiste.

Pays-Bas 1974, le football devient orange

Durant la même période, il va véritablement acquérir son statut de légende avec la sélection des Pays-Bas. En 1974, la sélection Oranje présent un effectif tout simplement magique (Krol, Rep, Neeskens, Rensenbrinck, les frères Van de Kerkhof) avec Rinus Michels sur le banc encore, et Johan Cruyff en capitaine. Après un Premier Tour passé sans encombre, ils vont en l'espace d'une semaine mettre le monde à leurs pieds. Tour à tour, l'Argentine (0-4) et le Brésil (0-2) se font emporter par une majestueuse tornade orange qui émerveille les yeux du monde entier. Les Pays-Bas sont en finale, et se retrouvent face à l'Allemagne de l'Ouest. Cela signifie aussi la fin du rêve.

Muselé par le chien de garde du Borussia Mönchengladbach (équipe frisson des 70's en Allemagne), Berti Vogts, il n'a pas d'influence dans le jeu et traverse le match comme un fantôme. Avec son capitaine à la dérive, la sélection néerlandaise sombre et s'incline 2-1 malgré l'ouverture du score de Neeskens. Cette équipe devient le plus beau perdant de l'histoire du football pour beaucoup, au même titre que la Hongrie de 1954, battue elle aussi par l'Allemagne de l'Ouest. De son côté, Cruyff se console à la fin de cette année 1974 en recevant son troisième Ballon d'Or à une époque où il y avait de la grosse légende un peu partout (George Best, Franz Beckenbauer, Bobby Moore, Gerd Müller, Dino Zoff, Bobby Charlton...). C'est également le premier joueur de l'histoire à remporter trois Ballons d'Or.

Même s'il n'a pas remporté cette Coupe du Monde et ne prend pas part à celle de 1978, officiellement pour des raisons politiques, il résumera ce qu'il a pensé de cette équipe à cette déclaration pleine de bon sens : "Nous avons rappelé à tout le monde que le football était un plaisir. Nous avons ri et nous avons passé des moments extraordinaires. J'incarne une époque où le football offensif était synonyme de succès. Le plaisir était une notion fondamentale.". Alors qu'il a 31 ans, en 1978, Cruyff prend sa retraite. L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais il n'en est rien.

A retrouver demain : Hommage à Johan Cruyff : un héritage unique et pour l'éternité (2/2)