Nous sommes le samedi 20 avril 2013. Je me prénomme Brandao, attaquant guerrier de l’AS Saint-Etienne qu’on ne présente plus. A quelques heures du match le plus important du club depuis plus de trente ans, je ne ressens aucune pression. Il faut dire que moi, ancien marseillais, j’ai gagné cette compétition trois fois plus que les Verts dans toute leur histoire. Oui, moi, je suis un génie.

Nous voilà dans l’avion, un bel engin rien que pour nous. Evidemment, nous sommes footballeurs. On ne se mélange pas avec le bas-peuple. François Hollande, qui sera présent au stade, est d’accord avec moi. Yohan Mollo ne comprend pas comment attacher sa ceinture, ça ne m’étonne même pas de lui. Il est gentil. C’est assez étrange cette atmosphère tendue, à croire que je suis le seul ici à avoir déjà joué un match d’une telle importance. Ah ben oui, je suis le seul. Bravo les nuls.

Après deux petites heures de vol, nous voilà arrivés. Nous récupérons nos bagages et le tibia de Clément, que nous avons emmené avec nous en gage de porte-bonheur. Ruffier mâche son chewing-gum comme un dingue, faut dire que nous sommes attendus, il a raison de faire le caïd. Le bus de l’ASSE est là, il nous attend. Nous montons dedans sans faire de grabuges, puis nous nous dirigeons vers l’hôtel.

Arrivée à l’hôtel, l’équipe se déshabille, Bayal soulève difficilement sa troisième jambe, et nous plongeons dans la piscine. Ben oui, j’ai parlé d’un hôtel, pas d’un banal Formule 1. Nous n’avons pas les mêmes valeurs. Aubameyang gigote dans tous les sens, commence à hurler. Quel malheur, sa coiffure spéciale Coupe de la ligue a pris l’eau. Le dessin du trophée sur ses cheveux est devenu violet, c’est dégueulasse. Quelle vision d’horreur. Bon, c’est terminé. Fini de déconner, on se prépare et on part visiter la ville, chacun dans notre coin. Quelle bande d’insociables.

Je me balade au pied de la Tour Eiffel, et tout le monde m’arrête pour me faire signer des autographes ou pour prendre des photos. Je suis beau goss. Je lève les yeux et je vois une banderole en haut du monument parisien : « La Brandao Cup est à nous ». Ils sont mignons les Magics Fans. Mais là ça me fout la pression, je pars d’ici en vitesse, direction l’hôtel avant de partir pour le Stade de France.

Christophe Galtier fait l’appel, je n’avais pas vu ça depuis le CP. Bordel, c’est là qu’on voit que cette équipe n’a pas vécu une finale depuis 184 ans, c’est quoi cette organisation ? J’en profite pour aller sur Twitter via mon Iphone 5 : « @JoeyBarton7 , I will marquer tonight, and i have a banderole pour toi ». Je l’aime pas Joey. Dans le bus, c’est du jamais vu. Silence de mort. Peut-être qu’on a perdu le tibia de Clément. Ah non il est là, j’étais assis dessus. Hamouma essaye de mettre l’ambiance en chantant « Belle belle belle comme le jour ». J’vous dis pas le bide.

Bon sur la route du Stade de France on a reçu quelques cailloux, mais rien de surprenant, y a Paris – Nice dans une heure pas loin d’ici. Les stéphanois nous acclament à notre arrivée, qu’est-ce qu’ils sont bêtes. Venir aussi loin pour perdre. Ah non j’avais oublié que je suis titulaire, on va gagner. On arrive sur la pelouse, on tâte le terrain. Du moins, mes coéquipiers tâtent le terrain. Les mecs sont jamais venus là, la honte. Bon, fin de la plaisanterie. On s’amuse, on se détend, on mange, on boit, on reçoit nos deux-trois produits bizarres, jamais su ce que c’était, il faudrait demander à Jordi Alba…

Le match commence dans 30 minutes. Dans le vestiaire, le coach essaye de faire passer son message, mais à quoi bon ? Nous n’entendons rien, les supporters dehors font trop de bruit. Il faudra pas venir se plaindre si on perd ce match, sur le plan tactique on est perdu… Guilavogui se met à hurler : « ALLEZ LES MECS ELLE EST POUR NOUS », mais avec sa voix de fillette de 4 ans, ça n’a d’influence sur personne. L’arbitre nous fait signe d’approcher. En sortant des vestiaires, un adjoint de l’arbitre souhaite vérifier mes crampons. Je lui enfonce dans la jambe et m’excuse, j’ai pas touché voyons. Qu’est-ce que j’aime ce genre de matchs.

On entre sur la pelouse, le stade entier fait la Grecque d’avant-match. Même les rennais, d’ailleurs ils chantent « Stéphanois stéphanois hey hey », ils n’ont rien compris ces bretons. Le coup d’envoi est donné. Le match semble serré, équilibré. J’ai du mal à comprendre pourquoi personne ne joue. Le jeu est lent, fermé, tout le monde semble avoir peur. Même Ruffier peut se payer le luxe de faire des pompes devant le Kop stéphanois. Quel prétentieux celui-là. Fin de la première période, quelle purge. Je reste sur la pelouse et broute le gazon, ça m’avait porté chance quand j’avais une coiffure de cheval à mon époque marseillaise. Aujourd’hui je suis plutôt en mode mouton. Aubameyang revient sur la pelouse avec une nouvelle coiffure. La partie reprend, mais toujours aucune occasion, si ce n’est la frappe de Clerc qui passe 500 mètres au-dessus. Et ouais, c’est plus difficile quand je ne défonce pas Thiago Silva au sol. Quel match pourri, Brison se paye même le luxe d’enchaîner roulette et petit-pont sur Pitroipa. On joue la 88e minute. Aubameyang file seul au but, et oblige Mavinga à dégager en corner. Mollo s’avance, délivre une merveille de centre. Je m’envole et fais une aile de pigeon merveilleuse qui se loge dans la lucarne de Costil. Le stade exulte et chante mes louanges. C’est qui le patron ?

L’éternel invincible, l’éternel talisman, c’est bien moi. Quelle fin de match, quelle joie. Alors que nous montons pour recevoir la Coupe des mains de Monsieur Thiriez, Perrin pleure, m’embrasse, avec la langue je précise, et je me rends compte que ce n’était pas si mal que ça. Bon, on soulève enfin la Coupe. Jeremy Clément, rentré à la 93e minute pour le symbole, la porte en triomphe et restera à jamais gravé dans la légende stéphanoise. Je me rends compte que j’ai oublié ma banderole pour Joey Barton. Je la sors maintenant, pendant que les caméras sont fixées sur nous. « Hey, Joey. Je quitte Marseille pendant que toi tu arrives, et vous ne gagnez aucun titre. Coïncidence ? »

Premier titre en 32 ans pour les Verts, parfaitement lancés pour le sprint final du championnat, pendant que Rennes s’écroule et licencie Antonetti. Je termine une fois encore héros de mon club, légende vivante, je viens de marquer à jamais l’histoire de la Coupe de la Ligue en la remportant 4 fois d’affilées, dans deux clubs différents. Je rentre enfin dans le panthéon du football. Mon nom résonne au milieu des Ronaldo, Platini, Zidane, Maradona, Messi, Pelé… Après avoir vu ça, on peut mourir tranquille.